Portrait

Carlo Purassanta, dolce vista

Le patron de Microsoft France est un Italien, passé par IBM, qui s’applique à faire preuve d’optimisme et à dessiner un futur désirable.
par Gurvan Kristanadjaja
publié le 8 janvier 2019 à 17h06
(mis à jour le 8 janvier 2019 à 18h24)

Une seule chose que l'on envie aux puissants de ce monde : la vue qu'offrent leurs bureaux. Celui de Carlo Purassanta, au dernier étage du bâtiment Microsoft à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), mérite un bon huit sur dix : un bras de Seine, un bout de périph et le haut de la tour Eiffel qui apparaît par inadvertance entre deux immeubles haussmanniens. Quand le nôtre, piètre deux sur dix, nous propose chaque jour un tête à tête avec le ministère des Armées. En l'observant sortir de ce bureau dernier cri, dont les vitres s'opacifient d'une pression de télécommande, on a vite fait de se demander comment Carlo Purassanta est devenu un jour patron de Microsoft France. Et de fantasmer une réponse à la Bill Gates : il aurait au départ été un génie solitaire, en tee-shirt crade, dans son garage. Déception. Son père ayant fait carrière chez IBM, cet ingénieur de formation de 47 ans intègre une des filiales françaises de Big Blue à la sortie de polytechnique Milan, «la meilleure école en Italie», en 1996. Quand on lui fait remarquer qu'il a fait «comme papa», le quadragénaire ajoute un peu de pathos à son discours : «Mon père s'est fait tout seul. Il venait de la région de Trieste, il faisait huit kilomètres à vélo pour aller à l'école.»

Il n'empêche, sa propre carrière n'a connu aucun accroc. Carlo Purassanta rejoint Microsoft en 2011, avant de devenir le numéro 1 de la filiale italienne en janvier 2013. «Lorsque j'ai entendu qu'un poste se libérait en Italie, j'ai levé la main. On m'a dit : "C'est un peu tôt, tu viens d'arriver". Je leur ai répondu : "Si vous voulez quelqu'un qui puisse vous obtenir des résultats et qui ait la bonne mentalité, je pense que je suis le meilleur"», s'enorgueillit-il.

Là-bas, le quadragénaire, longtemps expatrié à Paris, redécouvre son pays. Il développe «avec succès» la filiale italienne. «Microsoft est passé de simple fournisseur informatique à la boîte de référence en matière d'innovation en Italie», avance le patron, cheveux grisonnants et regard perçant. Après quatre années, la maison mère lui propose d'occuper le même poste à Dubaï. Puis un autre, plus stratégique, à la négociation commerciale sur la Côte Est américaine. Il refuse les deux. «Je voulais travailler ici, je leur ai dit de me trouver quelque chose en Europe», se souvient-il. D'aucuns y verront la peur de prendre des risques quand sa carrière est déjà bien tracée, lui plaide pour le souci de participer au bouillonnement naissant de l'innovation française. Il obtiendra le poste à Paris en septembre 2017.

A écouter Carlo Purassanta, on comprend mieux la parade nuptiale encore à l'œuvre entre les grands patrons et le président de la République, dix-huit mois après son élection. «Emmanuel Macron a replacé la France au centre du monde, c'est la nouvelle locomotive de l'Europe», dit l'ingénieur, refusant de nous préciser s'il est en contact avec des membres du gouvernement. Admiratif de l'écosystème développé par les start-up françaises depuis quelques années, il prononce, avec délectation, les mots-clés «French Tech» et «Station F», (un incubateur de start-up créé par Xavier Niel et inauguré par le Président). La filiale de 1 600 employés qu'il dirige colle d'ailleurs parfaitement aux clichés de la «start-up nation». Lorsqu'on arrive dans les locaux, on ne se présente pas à l'accueil, mais à un comptoir de café, type Starbucks. Dans les étages, certains employés pratiquent le «flex office» : pas de bureaux, ils se placent où ils le souhaitent pour travailler. Ici, on ne prononce pas le mot «bureau», mais on parle de «campus». La France dont rêve la macronie. «Un président peut aussi perdre le contact avec le terrain, il faut faire attention…», tempère néanmoins Purassanta, qui a vu Salvini succéder à Renzi en Italie. «J'ai discuté avec Salvini, c'est un garçon très intelligent. Mais quand je parle avec lui, je me rends compte qu'il est important de porter un autre projet pour les gens et les jeunes», poursuit celui qui réside aux alentours de l'avenue Kléber, du côté de la place de l'Etoile, «près de là où ça brûle en ce moment».

Dans son costume en tissu écossais tombant parfaitement sur ses chaussures cirées, Purassanta est un VRP du projet de société défendu par Microsoft. Il assène : «Microsoft a une mission : aider les entreprises et les hommes à être meilleurs.» Comprendre : rendre les firmes plus compétitives, et les humains plus performants. «En faisant jouer un enfant à 6 ans sur Minecraft, ça lui permet de comprendre comment assembler des briques. Et tu le retrouveras demain au cœur de l'innovation», précise le patron. «Il y a peu de jobs du futur qui n'auront rien à voir avec l'innovation», prophétise-t-il, précisant que l'on vit une «quatrième révolution industrielle».

Dans ce contexte, Purassanta trouve dans la France des Lumières la préservation des valeurs nécessaires au développement d'une innovation «plus éthique». «On sera neuf milliards sur Terre en 2050, comment s'assurer que le niveau de vie sera meilleur ? Comment nourrir et garder tout le monde en bonne santé à un coût raisonnable ?» s'interroge l'ingénieur qui souhaiterait que la France «utilise les nouvelles technologies» pour répondre à ces questions.

A notre grand étonnement, dans ses propos, aucune interrogation sur le réchauffement climatique. Pourtant, les ordinateurs produits par Microsoft et les autres comptent parmi les plus gros facteurs de pollution. L'essor des centres d'hébergement de données (aussi appelés «data centers») de ces multinationales sera l'un des responsables en 2020 du triplement de l'empreinte énergétique liée au trafic internet mondial, selon Greenpeace. Mais le patron n'est pas du genre à se laisser déstabiliser. Il assure qu'un comité d'éthique existe au sein de Microsoft pour «traquer» le mode de fabrication de ses produits, et qu'ils développent des «data centers sous-marins» consommant moins d'énergie.

Excepté ses réussites professionnelles, Carlo Purassanta vit en couple mais n'a pas d'enfants. Touche un salaire qui lui permet de «vivre confortablement». Vote en Italie, mais songe à demander la double nationalité. Ne croit pas en Dieu. Il se couche tôt et se lève à 6 h 30. Et il a été marqué par la lecture de Système 1 / Système 2. Les Deux Vitesses de la pensée du prix Nobel d'économie Daniel Kahneman. L'auteur y démontre notamment comment notre manière de penser crée des illusions cognitives qui nous conduisent souvent à nous tromper de jugement.

5 juillet 1971 Naissance à Milan.
2011 Quitte IBM pour Microsoft.
Janvier 2013 Devient numéro 1 de la filiale italienne.
Septembre 2017 Dirige Microsoft France.

photo Jérôme Bonnet pour «Libération»

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