Banlieue, Deep Web et Dark Net, même combat

A Aulnay-sous-Bois, le 6 février 2017 ©AFP - FRANCOIS GUILLOT / AFP
A Aulnay-sous-Bois, le 6 février 2017 ©AFP - FRANCOIS GUILLOT / AFP
A Aulnay-sous-Bois, le 6 février 2017 ©AFP - FRANCOIS GUILLOT / AFP
Publicité

Et si les imaginaires à l'oeuvre dans le Dark Net et le Deep Web pouvaient nous aider à penser les banlieues.

Hier, je lisais sur Reflets.info un article tout à fait passionnant, qui faisait le point sur deux notions apparues dans le débat public il y a quelques années et véhiculant nombre fantasmes : celles de Deep Web et Dark Net. Par ces deux termes, on désigne indistinctement des lieux cachés du web, des zones de non-droit de l’Internet où l’on peut acheter des armes, de la drogue, des numéros de cartes bleues, des lieux utilisés par les terroristes, comme l’expliquait à l’Assemblée Nationale Bernard Cazeneuve quand il était ministre de l’Intérieur.

Or, quand on regarde de plus près, Deep Web et Dark Net ne sont pas des lieux à part, Jef Mathiot l’explique très clairement. Le Deep Web, ce sont des pages web qui ne sont pas indexées par les moteurs de recherche (autrement dit, on ne peut y avoir accès par les moteurs de recherche). Or, il y a plein de bonnes raisons pour qu’une page web ne soit pas indexée : parce qu’elle n’est liée à aucune page, parce que son format n’est pas lisible par les robots des moteurs de recherche, parce qu’elle est protégée par un mot de passe etc. Ainsi, il n’y a pas un Web de surface et web des profondeurs, il y a un seul web, mais certaines pages sont indexées, d’autres pas et “Il n’y a aucun mal à cela” dit Jef Mathiot…… Le Dark Net, c’est autre chose, mais ce n’est pas non plus un lieu. Le Dark Net est une autre manière d’échanger des informations entre les machines, une manière qui garantit l’anonymat, qui est non traçable, mais c’est toujours Internet. On navigue différemment, on navigue dans le même espace. Et si le Dark Net est en effet utilisée pour des pratiques illicites, il l’est aussi par ceux qui ne veulent pas être visibles : activistes, journalistes, lanceurs d’alerte, et policiers….

Publicité

Mais cette croyance qu’il y a des lieux obscurs et reculés du cyberespace est tellement ancrée dans les imaginaires qu’est apparu récemment un autre espace, encore plus mystérieux, encore plus secret, encore plus retiré, le “Marianas web”, qui ne serait accessible que grâce à un ordinateur quantique. Dans le numéro de décembre dernier de sa revue, la Gendarmerie Nationale considère le “Marianas web” comme une nouvelle menace à prendre en compte. Sauf qu’il n’existe pas. Sauf que le “Marianas web” n’existe pas. Un indice aurait pu être que les ordinateurs quantiques pas encore. Bref.

Ce qui est passionnant dans tout ça, c’est qu’il s’agit d’une question de représentation. Sans pour autant correspondre à une réalité technique, Deep Web et Dark Net spatialisent des usages, les investissent d’un imaginaire qui devient opérant à la fois pour ceux qui ont ces usages et pour ceux qui veulent les contrôler, alors même que dans les faits, il s’agit d’un même monde, un seul monde.

Vous voyez où je veux en venir.

Et en lisant tout ça, je me demandais dans quelle mesure ça ne pouvait pas aider à penser certaines caractéristiques de la banlieue. Bien sûr la banlieue est une question spatiale et géographique, c’est une évidence. Mais c’est aussi autre chose. La banlieue, c’est aussi une manière de se comporter, d’habiter l’espace. Par exemple, je pense qu’on peut vivre en banlieusard à Paris, et vivre en parisien en banlieue. La banlieue, comme le Deep Web, est peut-être moins un lieu où l’on se cache qu’une population qui, comme certaines pages web, échappent au regard - volontairement parfois, mais le plus souvent involontairement. Peut-être que la banlieue, un peu comme le Dark Net, est moins un lieu qu’une manière de circuler. Je pense souvent à ça dans ma banlieue, Aubervilliers, et que je vois tous ces camions qui déversent des cartons qui viennent du monde entier, quand je vois tous ces gens qui ne vont jamais à Paris, mais vont dans d’autres banlieues, qui partent au bled dès qu’ils peuvent. Ca circule énormément dans certaines banlieues, mais par d’autres voies. Peut-être que la banlieue, comme le Deep Web et le Dark Net, n’est pas un autre monde, mais le même monde, avec d’autres fonctionnalités techniques. Mais voilà, la banlieue existe si fortement dans les imaginaires, dans les imaginaires de ceux qui y vivent et et de ceux qui y exercent l’autorité, qu’on s’y permet ce qu’on ne permettrait ailleurs. Ca vaut pour les bandits. Mais ça vaut aussi pour la police. Ce qui s’est passé à Aulnay-sous-Bois en étant aussi, sans doute, une illustration.

Correction : j'ai dit à l'antenne que c'était le numéro de juin de la Gendarmerie Nationale, il s'agit en fait du numéro de décembre.

L'équipe